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Avec Valérie Guillard, docteur en science de gestion et professeur à l’université Paris-Dauphine, nous abordons le thème de la sobriété. Ses recherches portent sur la psychologie du consommateur, les pratiques des consommateurs à l’égard des objets de seconde main, le gaspillage et elle a publié « Comment consommer avec sobriété – Vers une vie mieux remplie », aux éditions De Boeck (2021). Dans ce contexte mondial d’incertitude, il semble que se renforce la volonté de consommer mieux et de consommer moins. Comment cette attente peut-elle être entendue et satisfaite par les marques ? Tour d’horizon des approches pertinentes et rapides à mettre en place…

Comment définissez-vous la sobriété ?

Du point de vue du consommateur, l’enjeu principal de la sobriété est d’adopter des pratiques de consommation qui auront un impact minimum sur l’environnement naturel et social. L’objectif est donc de mieux consommer et notamment d’éviter le gaspillage, ce qui suppose de réfléchir à ce que l’on consomme. Quelles sont les matières employées ? Quelle est leur provenance ? Qui a fait le produit, où et dans quelles conditions ? Comment le produit est-il emballé ? Les marques peuvent répondre favorablement à ce besoin d’en savoir plus sur le produit acheté. Car dans l’esprit du consommateur, le désir d’achat va être soumis à analyse : ai-je vraiment besoin de ce produit, n’ai-je pas déjà l’équivalent, combien de temps vais-je l’utiliser, etc. Nous sommes en train de nous éloigner du « no limit » et de la consommation ostentatoire, tels qu’on a pu les promouvoir autrefois dans le luxe, l’automobile ou le tourisme, par exemple. La sobriété consiste à revisiter son quotidien afin de repartir de ses vrais besoins. Dans notre contexte actuel d’incertitude, la sobriété est donc vue comme bonne, elle rassure parce qu’elle préserve l’avenir et les générations futures. Cette nouvelle posture, ce choix moral, cette façon d’entrer en relation avec les mondes d’aujourd’hui et de demain, tout cela est assez déconcertant pour le marketing classique, plus habitué à susciter l’achat égocentré et impulsif. Les marques font donc face au challenge de la sobriété.

Quels sont les secteurs ou produits concernés par cette recherche de sobriété ?

A priori, la déconsommation va surtout pénaliser les produits impactants négativement sur l’environnement naturel et social. Du coup, un secteur comme la fast fashion va être pénalisé alors que la seconde main va connaître une croissance plus forte, comme on le voit aujourd’hui dans de nombreux pays. De même, les équipements reconditionnés ou facilement réparables seront favorisés. Dans le secteur alimentaire, les fruits et légumes de saison, les régimes moins carnés, les productions locales, bio et équitables auront la faveur des acheteurs. On assiste aussi au développement d’une économie de la fonctionnalité, selon laquelle il est préférable de louer plutôt que d’acheter. Sur un plan plus général, pour se déployer pleinement, la sobriété suppose de mettre en place une approche systémique sur trois niveaux : territoires, consommateurs, entreprises – ces dernières ayant l’opportunité de jouer un rôle déclencheur ou fédérateur.

En quoi la notion de sobriété peut-elle être attractive pour les consommateurs ?

Historiquement, il est vrai que la consommation était associée au plaisir, à la réussite sociale, voire au bonheur. C’est donc très compliqué d’aller vers d’autres schémas. Et surtout aujourd’hui, au moment où le terme « sobriété » est martelé dans un contexte de réduction de la consommation d’énergie et de baisse de confort. Pourtant, de façon générale, la sobriété ne doit pas être associée à la privation mais à la modération. Cette modération, cette consommation responsable, a des avantages concrets à faire valoir. Par exemple, le vélo est une solution de mobilité douce qui est bonne pour la planète mais aussi pour la santé et le moral des individus. Les marques doivent réussir à présenter de tels avantages, sans quoi la sobriété sera ressentie comme une frustration. Le consommateur doit trouver du sens à diminuer, à remplacer, voire à supprimer certaines pratiques de consommation. Le marketing des marques pourra donc soutenir ou promouvoir des causes, sous réserve qu’elles soient cohérentes avec ses valeurs et engagements réels.

Comment les marques peuvent-elles communiquer positivement sur la sobriété, tout en évitant le risque de greenwashing ?

Le risque de greenwashing apparaît quand les communications d’une entreprise ne sont pas alignées avec ses pratiques réelles. Dès qu’un tel hiatus sera visible, il sera répercuté négativement dans les médias, les réseaux sociaux mais aussi auprès des collaborateurs. Pour que les marques ne tombent pas dans ce travers, et surtout pour améliorer l’efficacité de leurs actions de communication dans ce contexte de sobriété, il paraît judicieux de miser sur la transparence. Pour exemple, des marques comme « C’est qui le patron » ou « Jules & Jenn » communiquent sur leurs structures de prix et de coûts. Avantages : le consommateur voit où va son argent et il est libre de se faire une opinion. Une telle transparence est rassurante, elle a une vertu « d’éducation du consommateur » et cette dimension pédagogique pourra être habilement mise en scène par la marque. Au final, ce consommateur acceptera peut-être de payer un prix un peu plus élevé quand il saura que les producteurs ou certains intermédiaires sont correctement rémunérés, par exemple.

Quel autre conseil de communication ou d’action donneriez-vous aux marques dans ce contexte de sobriété ?

En termes de communication, il paraît judicieux de donner au consommateur des informations précises sur l’impact qu’aura son achat. Des marques comme BackMarket renseignent ainsi leurs clients sur le volume de CO2 ou de déchets électroniques évités, par exemple. Quant à l’association Zero Waste France, elle propose un calculateur permettant d’estimer son impact dans le cadre de son défi “Rien de neuf”, lequel réunit plusieurs dizaines de milliers de personnes souhaitant acheter le moins d’objets neufs possible pendant un an. Au final, les économies d’énergie, de matières premières ou de déchets obtenues grâce à un achat, ou à un non-achat, sont très valorisantes et encourageantes pour le consommateur ou le dé-consommateur. Dans un contexte d’incertitude et pour faire face à l’éco-anxiété, il est très appréciable de se sentir informé, valorisé et soutenu. La marque et le client marchent ensemble et vont dans la bonne direction.

« La sobriété ne doit pas être associée à la privation mais à la modération. » Valérie Guillard, Docteur en science de gestion et professeur à l’université Paris-Dauphine